40 ans ... cela suffit ... !

Fermeture du Dento Budo Dojo de Strasbourg : fin d¹une chronique annoncée ...

Juin 2002 restera, pour ceux qui connaissent Sensei Habersetzer depuis longtemps, la fin d'une époque, d'une épopée à vrai dire ... commencée en octobre 1962 avec l'ouverture officielle du premier Dojo de Karaté des 6 départements de l'Est de la France. Le Dojo du Karaté du "Strasbourg Etudiant Club" (SEC) devint par la suite le "Strasbourg Université Club" (SUC) et son aura dépassa rapidement les limites alsaciennes. N'en refaisons pas, ici, l'histoire : il suffit de rappeler qu'en 40 ans il en a vu défiler des générations d'élèves, dont beaucoup devinrent Cadres à leur tour, entre 1962 et 2002 ! Des milliers d¹étudiants, parfois venus du bout du monde pour apprendre sous la houlette de Sensei Habersetzer qui dispensait sans relâche un enseignement associant étroitement les techniques de combat et les valeurs traditionnelles qu'elles véhiculent depuis leurs origines, résistant aux modes et aux pressions, fidèle à lui-même, et pour cela même souvent décrié. Roland Habersetzer avait fait de ce Dojo le point de départ, en 1974, du "Centre de Recherche Budo". Mais le temps aussi peut blesser ... Le Sensei avait mal vécu un certain nombre d¹abandons, voire de trahisons pour le moins inélégantes de la part d'élèves qui lui devaient tout, que ce soit en Karaté ou en Taichi : éternelle histoire, en somme ... Laissant le SUC à ses dérives et ses luttes pour le pouvoir,  il poursuivit son oeuvre dans le cadre d¹une nouvelle structure qu'il créa en réponse, le "Dento Budo Dojo", toujours à Strasbourg.

Mais la longue aventure vient de se terminer ce jeudi soir 27 juin ... après 40 ans. Sensei Habersetzer a estimé que cela suffisait ... Il laisse le Dento Budo Dojo à  Jean Claude Benis, qui le déplace sur la ville de Sélestat, tandis que Christophe Sivy ouvre un Dojo à Gerstheim et Jean Blumenfeld le sien à Eschau, dans la banlieue strasbourgeoise. Tous trois 3e Dan, élèves directs du Sensei avec lequel ils ont étudié de nombreuses années, ils poursuivront dans l'esprit et la technique. Désormais Sensei ne s'occupera plus que des séminaires du CRB, entendez qu¹il  ne désire plus former lui-même de nouveaux élèves. Il désire ne plus se consacrer qu'à la recherche en Budo, qu'il partagera avec les pratiquants plus avancés (on avait vu poindre l'évolution avec la création de ce qu'il appela "Voie Tengu" ...). Une décision prise après une réflexion de plusieurs années ... Pour tous ses Sempai une page est donc définitivement tournée ...

On pourra donc relire avec une attention nouvelle ce texte, écrit en 1992, qui conclut "Ecrits sur les Budo" de R.Habersetzer (Ed.Amphora), après, déjà, 30 ans d¹enseignement ...

"On sait bien que l'expérience n'éclaire que le chemin parcouru. C'est ennuyeux. Parce que cela implique obligatoirement le défilement, déplaisant, du temps. Temps pris sur la vie, l¹énergie. Le malheur de l'homme c'est que, le plus souvent, il ne comprend que lorsqu'il est arrivé (pas forcément au meilleur endroit). Le dernier espoir qui lui reste alors, c'est que son expérience puisse quand même profiter à d'autres. Le rêve de laisser un sillon, où un jour pourra être récolté ce qui y a été semé à travers tant d¹efforts. Et non pas un simple sillage sur l'eau qui, un temps, peut faire illusion, mais qui se referme aussitôt, sous une mousse stérile et inutile. Se pourrait-il que 30 ans d¹enseignement des arts martiaux dans tant d'endroits dans le monde, d'énergie dilapidée à tous vents, d'obsession unique, de rencontres exaltantes mais aussi de ruptures qui ont laissé des cicatrices douloureuses, se pourrait-il qu'une vie avec des hauts si enthousiasmants qu'il m¹est arrivé de rêver que l'on pourrait refaire le monde, mais aussi des bas si terribles que le sentiment de rester finalement seul face à l'obstacle  annihile soudain tout le reste, se pourrait-il que tous ces souvenirs ne soient qu'une écume d'illusions ? Je sais : seul le fou prétend labourer la mer ... Je ressens aujourd'hui ce que bien d'autres ont dû ressentir avant moi et qui, un jour, les a fait rentrer dans l'ombre. Le point me semble largement atteint où les satisfactions de l'enseignement des arts martiaux restent en deçà de ce que peut encore apporter la recherche pure dans un cadre de vie moins tourné vers l'extérieur.

Rien n¹est plus dans ma nature que de persister et de signer dans et ce à quoi j¹ai toujours cru. Et comment mieux répondre à l'avance à tous les donneurs de leçon qui se manifesteront, évidemment, après la bataille ? Tant de visages ont disparu, de ceux qui en leur temps n'arrêtaient pas de vouloir entreprendre, qui m'avaient donné l'illusion que nous étions nombreux à vouloir changer les choses, et puis qui ont fait un petit tour, bruyant au demeurant, avant de s'en aller ... Et tant d'autres, peut-être repartis par commodité dans une pratique isolée, qui n'étaient plus là lorsqu'il aurait fallu s'unir. Je me serais donc tant trompé sur les hommes du Budo (.....). Tournons définitivement ces pages. J'ai eu trop souvent, ces dernières années, à regarder évoluer la "société Budo", envie de dire, tel le "petit prince" de Saint-Exupéry : "Où sont les hommes ...".
Je garde cependant très fort au fond de moi la certitude qu'il y aura toujours des chemins, des horizons, des éblouissements, pour ceux qui chercheront passionnément à savoir comment l'infiniment petit s'inscrit dans l'infiniment grand. Que les arts martiaux sont des compagnons et un engagement pour toute la vie. Que l'Art est éternel ! Et qu'au regard de cette immense Réalité là, les petites tribulations des hommes qui pensent se l'approprier sont décidément bien dérisoires !"

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